"La Chemise des Murs"

Dan Haulica

A publication of the Romanian Cultural Institute of Paris
May 1994

Dan Haulica, Former President and Current Honorary President of the International Association of Art Critics, Corresponding Member of the Romanian Academy, and former Ambassador, permanent delegate of Romania to UNESCO.

 
Un tempérament de peintre qui s’épanche, dans un dialogue ambitieux avec la dimension, comme dans un corps à corps obstiné, où il s’agirait, aussi, de mener bataille contre soi-même. Aux prises avec un matiérisme qui semblait voué à l’onctueux, à une physique des surfaces dégoulinantes, Stefan Ramniceanu s’astreint de plus en plus au paradoxe pictural qui fasse coïncider superpositions tenaces et effets d’exfoliation. Triturées et incisées, ces strates de peinture visent le faste d’un spectacle où l’artiste, au lieu d’épanouir son trop-plein sensuel, s’adonne, avec méthode, à sa propre mortification. Sa véhémence rêve de métamorphoses expiatoires, naguère, à Bucarest et Athènes, il plantait dans la continuité de l’huile des lames de bois et métal, des clous enchâssés dans la chair de l’objet ; maintenant, la cadence parallèle des verticales — on dirait, le rythme des Archers de Suse, l’image achéménide qui veille sur son atelier parisien — délaisse l’allusion aux béances objectuelles, aux accidents qui transforment l’icône en écorché. La peinture tente d’annexer le mural, non pas pour prendre place, avec bonheur, dans un vénérable décor, déjà constitué, mais pour jouer de son inhérence, de sa structure intrinsèque; comme pour recueillir, dans sa ruche régulière, le sang d’une invisible blessure.

Il y suinte, cette fois au delà de toute expansion héraldique, attiré par l’appel muet des rectangles et carrés successifs, ceux dont l’ascèse blonde, parfois, ayant le ton calme de la cire, pourrait renvoyer à un Albers passé par Byzance. Car l’Orient miroite dans ces monochromies volontaires, il perce dans leurs striations géométriques, semblables aux figures du tissage, à cette perpétuelle croisée — chaîne et trame transversale — que René Guénon retrouvait partout, propre à la terminologie et au symbolisme des écrits sacrés, jusqu’aux sutras et tantras sanskrits. N’est-il pas nommé, le suprême Brahma — dans les Upanishad — « celui sur lequel sont tissés les mondes, comme chaîne et trame » ?

Même à l’échelle fatalement exiguë d’une salle d’exposition, le projet de Stefan Ramniceanu ne laisse pas d’être ample, la chemise des murs dont il soulève ici les pans — noir, rouge et or — s’apparente plutôt à une cotte de mailles coriace, conçue pour revêtir des remparts lointains.